La Plaine Saint Denis est un territoire ayant un patrimoine historique lourd. Depuis sa construction, cet espace est déjà partagé entre plusieurs communes : divisé, mutilé géographiquement il est destiné à être la proie de nombreux bouleversements et aménagements. Situé au nord de la capitale, la Plaine bénéfice d’un emplacement stratégique pour l’exportation et devient dès le XIXème siècle un carrefour important dans la distribution grâce a un bon système de desserte. C’est dans un contexte où le transport doit se développer de plus en plus vite, où ce flux s’accélère en continue que la plaine va peu à peu perdre cette ouverture vers l’extérieur et son dynamisme. Cette césure s’opère progressivement avec d’une part les disparitions des lignes de tramways et à la création de l’autoroute du nord qui cisailla la Plaine en deux espace d’Est en Ouest : alors qu’une partie continue de se développer, l’autre au contraire, s’enfouit. L’importance de ces infrastructures des transports est incontestablement le vecteur le plus important dans la fracture qu’a subit le territoire de la Plaine, elle est à l’heure actuelle un assemblage de quartiers isolés ou mal reliés les uns aux autres. Devenus le « neuf-trois » à la réputation douteuse, c’est un quartier ghettoïsé enfermé dans une politique de violence et de laissé pour contre où la majorité de la population étrangère se cache et survis dans des conditions inférieures aux niveaux de la pauvreté acceptable en France. Quand les statistiques pointes du doigt une augmentation des violences, du chômage et de la population d’immigrés le gouvernement fait face par des visites de courtoisie régulière pour constater et rassurer : « on ne vous oublis pas mais chaque chose en son temps ». Néanmoins, Il n’aura pas fallu attendre les années 2000 pour tenter de modifier les choses. En effet en 1985, un syndicat intercommunal décide de reprendre les choses en main et d’établir un nouveau projet urbain dans le but de transformer cette zone industrielle en ville : c’est la « PLAINE RE-NAISSANCE ». Dans une campagne de RE-construction et une volonté de RE-unification, une avalanche de projets urbains vont se déverser sur la plaine comme le RE-couvrement de l’autoroute du nord, le stade de France, la RE-construction de logement, le développement de la zone François Mitterrand, la RE-habilitation de la petite Espagne (à travers notamment la construction de logement HQD mit en place par l’architecte Georges Roux) et la création de pôle image (studio tv), santé, bientôt enseignement (antenne de Paris 8), nautique, bureautique et cinéma…
Au cours de mes recherches et de mes rencontres sur la zone, je me suis retrouvée face à un espace en travaux enclin à une mixité culturelle et ethnique perdue entre ses racines et le RE-nouveau dans laquelle on l’enferme. Les nouveaux bâtiments se marient avec les vestiges d’une violence encore présente à travers des enclos, des terrains vaguent et des fenêtres brisées, clouées sur des ruines d’un foyer réapproprié. Errance dans un lieu recouvert d’affiches, de bâches, de panneaux, de mots : vaines tentatives de communication le long de traces des routes mortes, oubliées et sans issues. Quand on entre dans cette partie de la Plaine, un immense panneau ouvre la voie, impression sur bâche elle nous informe de la RE-urbanisation de la ville. Fragmentée, divisée, séparée la Plaine est un lieu où la notion de frontière est omniprésente. De ces échanges, naît une liste de mot en "RE": redynamiser, réequilbrer,réunir,réhabiliter, rénovation, réurbanisation, recherche,réinstaurer,regrouper,reconstruire,reconquérir… sur laquelle j’ai voulu axer ma recherche photographique.
J’ai voulu travailler sur l’idée de frontière, pour ce fait une série de photographies dans le format paysage. Chacune contient une ligne verticale qui scinde mon image en deux à l’intérieur de laquelle un jeu de matière s’opère à travers la fusion des différentes enveloppes constituantes la Plaine. Afin d’instaurer un jeu d’ombre, je les aient prises en fin d’après midi au moment où le soleil commence à se coucher. Pour moi, ce changement de temporalité était un moyen de mettre en avant la mutation de l’espace et comment progressivement le décor évolue vers autre chose. J’ai essayé d’instaurer dans mes photographies une composition fragmentée où se mêlent de manières plus ou moins harmonieuses deux types de constructions liées par l’histoire. Simples, les images ne mettent pas en scène des lieux tapent à l’œil où ni la destruction est omniprésente ni le nouveau est écrasant car l’un est l’autre forme un ensemble soudé pour le moment. Chaque image est rattachée à la particule « RE » comme un compagnon qu’on lui aurait attribué sans pouvoir lui dire mot, il n’est pas une légende mais plutôt un complément indissociable de l’image : sans l’image est autre. C’est en étudiant le mouvement photographique américain NARRATIVE ou STORY ART (60/70) à travers les photographes John Baldessari et Jean Le Gac que mon projet prit cette forme.
Dans ce quartier devenu « laboratoire pour la France », il me semblait important de travailler sur les formes de communication face à laquelle on se retrouve confronté : les médias. Ces deux photographes, bien qu’ayant une approche différente, ont travaillé sur le l’impact des mots dans la photographie et comment il devient insurmontable de les distinguer quand ils sont associés. Soumis aux désignations de nos conventions culturelles, notre œil et notre cerveau sont éduqués pour assimiler le texte à l’image (cf exposition de John Baldessari PRIMA FACIE). Par ce procédé, j’avais l’intention de permettre au spectateur de chercher, de réfléchir sur le lien entre le « re » et l’image. La particule par sa police cible, attire et agresse l’œil par rapport à l’image qui est plus douce, chaude avec sa dominante de jaune : « dès lors que l’image est accompagné d’un texte (aussi court soit-i) ce qui était suggestion devient orientation » (JM. Schaeffer, philosophe français).