« Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. [...]Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie. »
Charles Baudelaire, « Les Fenêtres », Le Spleen de Paris (1869)
La fenêtre impose une frontière entre deux espaces : l’intérieur et l’extérieur. Son rapport au cadre et à la lumière permet de faire un parallèle avec l’appareil photographique. Tant dans l'architecture que dans la symbolique picturale et littéraire, la fenêtre apparaît comme une « ouverture » vers un ailleurs. La lumière, précisément, est à l’origine même de la racine grec du mot fenêtre : « venir à la lumière ». C’est dans son lien entre l’intérieur et l’extérieur que l’acte photographique prend son essence dans la création du cadre. Chaque fenêtre est semblable à celle photographiée par Nicéphore Niepce (1826) dans sa ferme du Gras. Elles constituent, aujourd’hui, une mosaïque infinie d’éclats, de brisures et d’ouvertures par lesquelles nous mettons à vue le monde extérieur au cadre. De cette confrontation entre l’intérieur et l’extérieur, l’obscurité et la lumière jaillissent de ces photographies.
Le regard de celui qui est posté à l’intérieur de la fenêtre est distancié, critique ou esthétique ; son œil voit la scène extérieur et c’est ce qui l’attire vers ce cadre. Le regard de celui qui est à l'extérieur est attiré par le cadre et son œil se pose ensuite sur la scène intérieure. Cadrer, c'est proposer une organisation du réel pour le rendre plus accessible à la perception du monde. L’apparente transparence de la fenêtre permet une confrontation de point de vue entre «la scène intérieur» et « la scène extérieur». Dans son livre, A l'ombre des jeunes filles en fleurs (1919), Marcel Proust observe successivement l’opposition des points de vue. Ainsi, les clients du Grand hôtel, depuis l’intérieur, regarde à la fenêtre la vue sur la mer, qu’ils assimilent à « une toile d'une couleur agréable ». A l’extérieur de l’hôtel, les habitants de Balbec appréhendent les fenêtres de la salle à manger comme un « merveilleux aquarium ». Ainsi la paroi de verre ne matérialise pas seulement des clivages sociaux entre les pensionnaires de l'hôtel et les habitants de la ville, mais conditionne également des impressions, des représentations étrangères à la réalité. La fenêtre sur-cadrage pour enfermer chaque regardant dans une vision et un espace qui lui est propre. Ainsi s'affrontent l'intérieur et l'extérieur dans une ambivalence de « ce qui est vue » et de « ce qui pourrait être vue ».
Dans une approche allégorique de l’acte photographique, la fenêtre constitue ici un possible désir échappatoire pour quitter l’obscurité, pour « venir à la lumière ». Émanant de la chambre noire, l’extérieur s’apparente à un trompe œil lumineux : la photographie. Comme l'œilleton de l'appareil photographique, la fenêtre découpe, isole et suspend une partie de la vie du monde. L’Héxaèdre de Balbec, interroge la capacité de la photographie à projeter le regard vers un ailleurs. Face à une série photographique, le regardant est invité à regarder l’extérieur. Mais que peut-il voir ? Que cherche-t-il à voir ? C’est en s’approchant de la paroi-photographique qu’il se trouve face à face avec lui-même, face à sa projection sur l’extérieur. Le cadre photographique opère un arrêt sur image constant où s’offrent pour chacun des regardants une infinité de possibilités, d’espaces, de temps et de points de vue.